Maï Lucas, France-USA, photographe et street-art lover

Les « sous-cultures » ont toujours été un moyen de renouveler la création.

Maï Lucas, photographe expérimentée, est également une observatrice attentive des styles et de la créativité avec lesquels les gens s’efforcent de briller dans les rues des grandes villes. Elle a très tôt été plongée dans un métissage culturel très créatif et aujourd’hui elle crée de superbes images inspirées par la street culture. Maï est representée par Askmyagent.

4 juillet 2010 – © Maï Lucas.

Bonjour Maï. Tu as grandi à Paris où tu as également commencé ta carrière de photographe. Est-ce que tu peux nous parler de tes premières expériences artistiques ainsi que ton parcours personnel ?
J’ai grandi dans le centre de Paris et j’ai eu la chance de fréquenter très jeune une population très créative dans le quartier des Halles. C’était une sacrée équipe de personnalités branchées comme Mondino, Jean Paul Gaultier, Maida et Serge Kruger aux “Bains Douches.”

A 18 ans je suis assistante de Stéphane Sednaoui, Nick Knight et Satoshi, je découvre New York et la culture hip hop émergente… C’est l’époque de LL Cool J, Public Enemy, Afrika Bambaataa, Eric B and Rakim et Monie Love… Alors immédiatement je tombe amoureuse de cette culture et je commence d’incessants aller-retours entre New York et Paris. En même temps, à Paris, je fais des reportages pour la presse ado et aussi des portraits de musiciens.

A partir de là, j’essaie de développer un style qui mélange la street culture, la mode et aussi la vie de tous les jours. J’ai toujours souhaiter faire quelque chose de réel, quelque chose à quoi les gens pourraient s’identifier. Depuis j’ai étendu mon travail à la mode, la pub, la musique et l’art.

Donc ton travail personnel est très influencé par la street culture. Mais quel fut réellement le déclic : l’intérêt pour le hip-hop ou bien cette considération sociale qui apparaît dans tes images ?
J’ai découvert le hip hop à 16 ans. J’ai senti une grande forme d’énergie et de métissage où il était permis à chacun d’exister et d’exprimer ses propres aspects créatifs. De nouveaux codes étaient inventés chaque jours… Filles et garçons de toutes origines se respectaient et étaient même bienvenus pour apporter de l’énergie à cette culture naissante. A New York, j’ai rencontré toutes les figures de la scène : de Afrika Bambaataa jusqu’à Ghostface Killah, en passant par A Tribe Called Quest, Smif N Wessun… Ce que j’aimais c’était cette liberté d’inventer de nouvelles règles pour briller. J’ai toujours aimer les « sous-cultures » pour leur capacité à influencer le cours des choses.

Les « sous-cultures » ont toujours été un moyen de renouveler la création, à condition d’être ouvert et de savoir les observer.

Est-ce que tu voyages beaucoup ? Quels sont les endroits où tu aimes aller et ceux que tu aimerais découvrir ?
J’ai beaucoup voyagé parce que je trouve mon inspiration dans des cultures différentes. Aujourd’hui j’ai deux filles et j’essaie d’être là pour elles… cependant je continue mes allers et retours entre Paris et New York.

Je suis une grande fan de la culture « roots » qui est plus régie par les personnalités plutôt que par l’argent. En regardant bien on trouve de belles choses partout…

J’ai lu quelque part que tu te rends chaque année au Festival de Jones Beach, Long Island. Pourquoi ça ?
Lorsque j’ai commencé à photographier la culture hip hop à New York, j’ai découvert cet événement appelé « Greek Fest » à Jones Beach où tous les quartiers de New York se rassemblaient. C’était le seul grand rassemblement Africano-Américain de hip hop.

Un endroit extraordinaire et c’était génial d’y aller pour regarder les gars et les filles au top de leur look… Il n’y avait pas mieux pour savoir ce qui se passait dans la street culture. Années après années, j’ai vu arriver les nouvelles modes, les styles les plus chauds, les tendances d’avant-garde, etc. ce qui se passait réellement dans la rue. Jones Beach c’est le baromètre du hip-hop Africano-Américain !

Ton travail est détaillé, coloré et aussi original par ses points de vue renouvelés, mais comment définirais-tu ton style ? Ta personnalité créative ?
J’aime la vie. Je pense que les gens sont étonnants. J’ai la chance de voir beaucoup de beauté dans la vie et beaucoup de belles personnes autour de moi alors j’ai décidé de leur rendre hommage… en essayant de faire de belles images pour communiquer mon amour et mon admiration, afin que d’autres les voient.

Lorsque je parle de beauté, il ne s’agit pas de quelque chose de superficiel… Je parle de beaux êtres humains qui me touchent. La vie est remplie de petits détails qui peuvent vous combler, si vous savez les reconnaitre. J’observe la vie et ce qui me séduira. Lorsque cela arrive, je prends une photo pour partager ces petits moments de perfection. J’adore photographier en argentique et prendre le temps de regarder et sentir ce qui se passe.

J’aime la couleur des lumières et comment cela peut créer un instant particulier. Je suis toujours touchée par les personnes que je photographie. Chaque image réussie est un moment réussi.

De nos jours les choses vont trop vite. On construit des rêves sur des illusions et nous oublions que la vraie vie a une force plus profonde… qui est notre fondation.

Et à propos de la mode ? Aujourd’hui les stylistes sont très attentifs à ce qui se crée dans la rue, pense-tu être un témoin privilégié des nouvelles tendances ?
Je pense que la mode commence avec le souhait de séduire ou de participer à la vie en présentant le meilleur de soi-même, sans marque particulière, mais simplement la volonté de briller et d’être unique. En espérant éventuellement aussi être aimé.

Aux débuts le hip hop était très ouvert d’esprit, très créatif avec l’enthousiasme d’une évolution permanente… J’aime la rue parce qu’elle se donne la liberté de créer chaque jour un nouveau style. La mode est un aspect créatif de ce que raconte les gens à propos d’eux-mêmes, et notamment de leur état d’esprit.

Je regarde toujours autour de moi pour voir ce qui se passe. Alors oui, en ce sens je suis témoin de la mode. Et je comprends parfaitement que l’industrie de la mode, avec toutes ces marques et le besoin d’affirmation sociale qu’elles créent, trouve aussi son inspiration dans la rue.

On peut voir un monde cosmopolite à travers tes photos, bien que souvent avec un style américain. As-tu des commandes internationales ?
J’ai la chance et le bonheur de grandir à Paris qui est une ville très cosmopolite. Cela n’est pas toujours évident pour les étrangers mais oui, on est un sacré mélange. Et puis je suis moi-même métisse, ma mère est Vietnamienne et mon père Français.

J’ai décidé très tôt de travailler sur des sujets cosmopolites et de montrer que le monde est un grand mélange; représenter une génération sans préjugés ethniques, montrer des gens sans qu’ils soient totalement blancs, noirs, asiatiques, etc… mais mélangés… et essayer de montrer une modernité… c’est peut-être là où tu leur trouves un style américain.

Je me suis toujours enrichie à fréquenter des personnes d’origines, de niveau social et de cultures très différents. International est un mot qui à beaucoup de sens pour moi. C’est une façon d’être moderne.

En 2005 ton expo « Tatoos, 125 th Street » fut un étonnant point de vue intimiste sur de jeunes américains. Comment fais-tu pour entrer dans l’intimité d’inconnus, dans un contexte plutôt underground ?
Je prends des photos de ce que je respecte et donc que je comprends. New York est une ville où la vie est dure. Les gens que j’ai photographié ont des vies difficiles avec de gros problèmes sociaux. Ils ont développé un sens de la survie et ce sont des gens très sensibles. On ne sait jamais ce que la vie vous réserve. Au-delà des apparences, les Afro-Américains et hispaniques sont à la fois humbles et généreux.

Quand l’un d’entre eux accepte d’être photographié, on échange un moment de vie et de respect l’un pour l’autre. Je me sens toujours la sœur, la mère, l’amie ou l’amoureuse de la personne que je vais photographier. C’est un moment très intense et très bref mais j’ai l’immense chance de vivre ces choses là et d’essayer de les partager en vous montrant des images de personnes superbes et généreuses…

La plupart de mes modèles ne me connaissent pas. On partage un instant comme on partagerait une danse et puis la vie reprend son cours. Pour moi les gens sont un peu comme des couleurs ou des notes de musiques… J’essaie de vous montrer ma vision du monde.


« Tatoos ,125 th Street »

Tu as récemment publié un livre intitulé « 36 Chambers » qui est une collaboration avec la star du graffiti JonOne. Comment est né ce projet et pourquoi ce titre ?
L’édition s’appelle « 36 Chambers ». Paolo, notre super éditeur italien, est un passionné de street culture, c’est pourquoi il a appelé sa collection “36 Chambers” (de Shaolin). Notre livre est une des 36 chambres.

Tu sais, la vie est étrange. J’ai commencé mon travail sur le hip hop avec des Afro-Américains des années avant de réaliser que les Latino-Américains avaient aussi une grande influence. Ensuite, j’ai rencontré JonOne, nous nous sommes mariés et il m’a aidé à découvrir tout ceci plus précisément. Ce projet est donc une collaboration naturelle. Nous aimons la street culture. Nous sommes très proches de la ville de New-York et cela nous influence.

Jon est originaire du quartier dominicain de New York et il a commencé le graffiti il y a des années maintenant, parallèlement à mon travail à Paris, j’allais souvent à New York pour mes projets personnels. Ce projet est une combinaison de nos visions et aussi une part de nos modes de vie, ce qui nous fait vibrer. Cela a beaucoup de sens pour nous et c’est un beau cadeau pour nos filles.

Nous visons ensemble, nous élevons nos filles ensemble. A New-York on habite à Washington Heights. J’ai pensé que ce serait génial de montrer une partie de l’endroit d’où vient Jon. Ses racines… Nous l’avons fait avec amour et respect pour que nos filles sachent d’où nous venons, ce qui nous a uni, quelle est notre complicité… et ce qui nous rend si heureux de revenir à New York. Cela nous fait toujours sourire parce que l’on sait que nous serons étonnés et touchés par la vie, par les gens là-bas.

Quels sont tes prochains projets ? De nouvelles expos en préparation, un nouveau livre ?
Je voudrais exposer plus souvent.
Je veux continuer à montrer comment nous devrions accepter et mieux voir la beauté des autres.
Oui, je travaille sur un nouveau livre.
Oui, j’ai encore beaucoup de secrets à partager avec vous.
Aussi je mettrai en ligne mon nouveau site (www.mailucas.com) avec de nombreuses images dès septembre, alors restez prêts pour y jeter un oeil !

Représentée par Askmyagent, portfolio: Maï Lucas.
« NY Ghetto Shine » et « Tatoos, 125 th Street » deux précédentes expositions à la Galerie Speerstra (Post Graffiti et Art Contemporain).